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Les femmes sont-elles autorisées à faire la course? Le chemin difficile vers la reconnaissance officielle du cyclisme féminin en Belgique

10min temps de lecture   par Dries De Zaeytijd le 29 juin 2021
Avec le premier championnat du monde féminin officiel et reconnu par l'UCI en 1958, le cyclisme féminin (international) a connu un tournant. Un an plus tard, Ligue vélocipédique belge a organisé à son tour un championnat national. Ces évolutions rapides ont provoqué l'émoi et la consternation nécessaires parmi les journalistes cyclistes (masculins) et les voix autorisées du cyclisme.

Au milieu des années cinquante, le cyclisme féminin est en plein essor en Belgique. De plus en plus de filles tentent leur chance dans le cyclisme, tandis que des courses "sauvages" sporadiques attirent beaucoup de monde. Cependant, il y a encore peu d'intérêt "véritable" de la part des supporters et des journalistes. L'héritage des années 30, où des milliers de supporters se sont gavés de courses de "gros cul", est encore tangible vingt ans plus tard. Les filles ne sont toujours pas censées faire la course, mais lorsque l'occasion se présente, le public se presse pour regarder...

La frontière avec le voyeurisme est donc très mince. Ce n'est pas une coïncidence si, dans de telles courses, la porte est laissée grande ouverte aux abus et aux fautes. Les organisateurs considèrent les femmes plus comme des attractions de foire que comme des conductrices et il n'existe aucune réglementation ou législation officielle. En outre, lorsque des rumeurs font état de la création d'un organisme officiel pour les courses féminines en Belgique par le biais de Ligue vélocipédique belge, divers commentateurs cyclistes tirent la sonnette d'alarme.

Sporta

Un rôle majeur dans le débat a été réservé à Sporta, le mouvement sportif de l'Église catholique dans son propre pays, qui fait autorité sur le plan moral. Dans Sporta-Kerel, le magazine de Sporta, au cours de l'année 1955, les courses féminines sont qualifiées de "parodie et de négation de la grâce et de l'humanité féminines". Sporta s'associe à des objections similaires soulevées dans des journaux tels que Het Volk et Nieuws van de Dag et veut faire appel "au bon sens de toutes les autorités sportives pour ne pas autoriser de telles absurdités dans notre pays." En outre, selon Sporta, ces compétitions mettent en danger non seulement les coureuses elles-mêmes, mais aussi les spectateurs.....

Le fait que les filles qui participaient à des courses se mettaient en danger (moral et physique) ressort d'une lettre de lecteur publiée dans Sporta-Kerel avec le compte rendu d'une course féminine à Buizingen dans ces années-là. Selon la lettre, malgré une participation massive, il n'est pas question d'un succès "durable": "Tout d'abord, il y a le fait qu'il y a peu à voir en ce qui concerne le corps des femmes de course, ce qui a été une déception pour la plupart des spectateurs." D'autres éléments négatifs, selon l'auteur anonyme, sont le manque de participants (21) et le fait qu'il n'y avait que cinq participants qui "se qualifiaient comme coureurs". Tous les autres n'ont pas pu suivre du tout et se sont ridiculisés, tout comme ce genre de course. En tant que videur, l'auteur mentionne également qu'il est "tout sauf décent de voir des femmes déchues se tordre les deux seins de douleur."

Les exploits de Sporta ne sont pas seulement conformes aux attitudes sociales dominantes, mais aussi à la vision plus large du mouvement pour le sport féminin. Au sein de Sporta-Kerel, on plaide depuis longtemps pour autoriser la pratique du sport pour les filles, mais pour des raisons médicales, "nous ne devons pas imposer aux femmes un substitut du sport masculin". Nous devons proposer des formes de sport essentiellement féminines. Selon le docteur Luyten, les sports à éviter pour les femmes sont "les sports dans lesquels l'endurance est mise à rude épreuve, comme l'haltérophilie, l'athlétisme lourd, le cyclisme, le football, le hockey sur glace et le water-polo. Les sports recommandés sont l'athlétisme léger, la natation, l'escrime, le tir à l'arc, l'équitation, le patinage, le tennis, le volley-ball, le handball et le basket-ball. De nombreux journalistes cyclistes partagent également ce point de vue.

Ligue vélocipédique belge vs Fédération belge de cyclisme féminin

Au cours de l'année 1957, la Ligue vélocipédique belge ouvre la voie à la reconnaissance officielle du cyclisme féminin en autorisant les femmes à courir, mais dans un premier temps uniquement sur la piste. Sur la piste cycliste en ciment de Walem, des courses sur piste pour les femmes sont organisées sous les auspices de la ligue, ce qui avait déjà été fait par des fédérations "sauvages". À cette époque, les courses sur piste et sur route sont déjà autorisées en France et en Angleterre, mais aussi derrière le rideau de fer. Dans Sporta-Kerel, le docteur Dries Claes, figure de proue de Sporta, exprime son inquiétude face à cette évolution mais est aussi (modérément) positif. Parce que si la ligue autorisait également les courses sur route, elle "protégerait les spectacles parfois dégoûtants des courses sur piste et sur route pour les femmes". Sporta demande immédiatement comment les garçons et les filles seront séparés lors de la pratique de leur sport: "Comment seront organisés les vestiaires et les toilettes? Y aura-t-il une promiscuité totale?"

"Comment seront organisés les vestiaires et les toilettes ? Y aura-t-il une promiscuité totale ?"
Sportakerel

Outre la Ligue vélocipédique belge et en réaction aux abus persistants et à l'organisation non structurée des courses féminines, l'Anversois Maurice Van De Vyver fonde le 22 juillet 1958 l'asbl "Belgische Dames Wielerbond" ou Fédération belge de cyclisme féminin. Les principaux objectifs de cette organisation sont de contribuer à la diffusion du cyclisme en Belgique et à la réglementation du cyclisme féminin. Ce n'est pas une coïncidence si Van De Vyver est la force motrice du Fédération belge de cyclisme féminin. Il est le père de... Yvonne Reynders. Van De Vyver a eu une liaison extraconjugale avec Maria Reynders et a ensuite divorcé de sa première femme pour s'installer avec leur fille Yvonne. Entre-temps, Yvonne a reçu le nom de famille de sa mère et elle s'y tient par la suite.

À cette époque, le jeune Reynders est déjà un talent cycliste en devenir. Van De Vyver et sa fédération fournissent également des autorisations officielles à l'Union Cycliste Internationale (UCI) afin qu'une délégation de dames belges puisse prendre le départ du tout premier championnat du monde reconnu par l'UCI à Reims le 30 août 1958. En France, après 59 kilomètres de course, la Luxembourgeoise Elsy Jacobs est la meilleure. La Belge Victoire Van Nuffel termine quatrième, Liliane Cleiren huitième et Nadia Germonpre neuvième. Yvonne Reynders termine à la vingtième place. La Ligue - qui ne reconnaît toujours pas le cyclisme féminin à cette époque - n'a pas de place dans son magazine national pour célébrer cette performance collectivement forte ni pour mentionner la toute première Championnat du monde féminine, ce qui n'est pas non plus explicite dans les journaux.

Quoi qu'il en soit, la Ligue a été amenée à créer sa propre division féminine au sein de son organisation. De cette manière, la fédération veut mettre un terme aux habituelles courses "carnavalesques" pour les femmes et, en même temps, fermer les yeux sur les fédérations non reconnues. Le Ligue vélocipédique belge estime également que si les fédérations françaises et britanniques de cyclisme autorisent les courses féminines, tôt ou tard, elles devront elles aussi emprunter cette voie.

Lorsque la Ligue annonce dans leur journal du 3 octobre 1958 qu'il prend en charge "la gestion générale des compétitions cyclistes féminines" à partir du 1er janvier 1959, le "virage" est définitivement amorcé. Là encore, la réaction est vive chez Sportakerel. Comme arguments décisifs, l'auteur, le Dr Cauwels, note : "Le cyclisme en tant que compétition pour les hommes peut en effet être justifié. Or, ce sport va à l'encontre de la nature même de la femme. Quel homme, qui aime vraiment sa femme, tolérerait qu'elle participe à une course de femmes? Quel fiancé sérieux le tolérerait?"

1959 : le Championnat de Belgique

Malgré l'opposition persistante, 20 courses sont programmées dans la toute première saison officielle de cyclisme féminin, dont un championnat belge. Le 24 mars, Anderlecht est le théâtre de la toute première course sur route féminine reconnue par la Ligue vélocipédique belge. La championne du monde en titre, Elsy Jacobs, s'impose devant les Belges Victoire Van Nuffel et Josette Cornelis. Peu après, leur journal annonce également que, dorénavant, l'UCI ne délivrera plus de licence aux coureurs belges pour participer aux courses officielles à l'étranger. Désormais, seules les femmes titulaires d'une licence de la ligue seront autorisées à courir à l'étranger.

Le fait que la Ligue Vélocipédique Belge devienne le seul "gardien" du cyclisme féminin en Belgique est démontré par un rapport dans le magazine de la Ligue de mai 1959. Elle indique que "M. G. (sic) Van De Vijvere d'Anvers et M. René Guns de Kapellen" ne sont pas mandatés par la Ligue ou l'UCI et ne peuvent donc pas organiser de courses. Il s'agit clairement d'une attaque contre la Fédération belge de cyclisme féminin. Est-ce que cela signifie la fin des fédérations "sauvages"? Pas encore tout à fait. Car ces fédérations et organisations non homologuées continuent de faire leur travail - mais pas pour longtemps - et comptent toujours des champions belges "non officiels". Lorsqu'ils se lancent dans les courses BWB avec leur tricolore, la confusion règne. Dans le journal national, il est annoncé que cela est strictement interdit, car il n'y a toujours pas un championnat officiel. La ligue annonce au passage que les dames qui sont invitées à concourir à l'étranger peuvent emprunter ( !) des maillots spéciaux aux couleurs de la Belgique auprès de la ligue...

Le 28 juin 1959 à 14h30, un championnat national pour les femmes, reconnu par la Ligue vélocipédique belge, est organisé pour la première fois. Dans le parc de la ville d'Anvers, 30 concurrents affrontent 40 tours de 1,540 km. Victoire Van Nuffel gagne et devient la toute première championne belge "officielle". Tant dans Het Volk que dans Het Nieuwsblad, il n'y a aucune trace de cette étape importante dans l'histoire du cyclisme féminin belge. Il n'est pas surprenant que Sporta, par l'intermédiaire de Dries Claes, ait conclu un accord avec un certain nombre de journaux pour ne pas publier délibérément les résultats des courses cyclistes féminines, une directive qu'un certain nombre de journalistes cyclistes conservateurs ne sont que trop heureux de suivre ...

La gestion par la ligue depuis 1959 a-t-elle immédiatement conduit à une amélioration du cyclisme féminin dans leur propre pays? Oui et non. Les dames peuvent désormais compter sur des vestiaires et des infrastructures décents - imposés aux organisateurs par la Ligue Vélocipédique belge - mais il n'y a pas de réel soutien. La championne belge Van Nuffel se rend donc à Leroux-Helyett, en France, où elle peut compter sur un meilleur soutien et des compétitions de meilleure qualité. Yvonne Reynders enchaîne les succès en Belgique et à l'étranger, mais ne peut jamais compter sur un réel soutien de la ligue. Pour Yvonne et de nombreux autres cyclistes, il faudra des décennies avant qu'ils puissent faire de leur mieux avec les moyens dont ils disposent.

Bibliographie

  • Archives d'Odiel Desmet, délégué de la Ligue Vélocipédique belge.
  • Rapports de la Ligue Vélocipédique belge
  • Bulletin Sportif, 1956-1959.
  • Sportakerel, 1950-1960.
  • G. Clerbout, ‘Victoire Van Nuffel, kampioenen en femiliste’, ’t Ridderke, heemkundig tijdschrift van Hombeek en omstreken, 21 (2006) 88-93.
  • M. Hermans, Yvonne Reynders. Zeven maal in de zevende hemel. Deurne, 2002.
  • S. Knuts ‘Dokter Dries Claes. Pionier van de integrale en integere wielerbegeleiding’, Etappe, magazine over historische fietshelden, 2 (2), 56-60.
  • K. Mortelmans. Vlaanderen op twee wielen. Antwerpen, 1991.
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