La douce France est pour beaucoup de Flamands synonyme d'étés insouciants et de vagues amours de vacances. La terre promise, pour ainsi dire. Que peut donc bien faire un ancien coureur super et un Français à Oekene, un coin perdu de Roulers, près du sombre Accent Business Park? L'amour suit le dixième. Lorsque le manager Heulot était à la recherche d'un physiothérapeute pour son équipe Sojasun en 2012, Nele Dewaele de Desselgem s'est avérée être la bonne femme au bon endroit. La joyeuse Flamande avait appris les ficelles du métier auprès de cavaliers tels que Serge Baguet, Leif Hoste et Baden Cooke. L'étincelle a jailli et, comme Nele a son cabinet à Desselgem, la Flandre est devenue le nouveau foyer de breton Heulot. Lorsque je lui demande s'il parle déjà un peu de néerlandais, Heulot me sort quelques mots subtils dans le "jargon de course": "klootzak", "godverdomme" ..... Eh ben, mieux vaut continuer dans la langue de Molière alors.
Heulot commence : "J'ai toujours fait du vélo. Mon père était directeur sportif de l'équipe cycliste locale et un fervent supporter de Louison Bobet. Plus encore que Bernard Hinault, qui a connu ses plus grands succès à l'époque où je grandissais, Bobet, cet autre homme de la région, m'a donné l'amour du vélo. Je me souviens d'une fête à Noyal-Châtillon-sur-Seiche, le village où j'ai grandi, quelque part au début des années 80. Mon père était l'organisateur et Louison Bobet a été honoré pour l'occasion. Au moment où il a donné un cadeau à Bobet, alors déjà malade, j'ai vu mon père pleurer pour la première fois. Peu de temps après, le triple vainqueur du Tour a perdu la bataille contre le cancer. Je n'avais pas encore participé à une seule course, mais j'admirais le mythe de Bobet. Il est toujours resté un grand exemple, également en tant qu'être humain."
Étant né breton, il semble évident que Heulot est devenu pilote de course. Ou pas ? "C'est surtout grâce à mon père et à Bobet que je me suis lancé dans le cyclisme. L'histoire selon laquelle la Bretagne est la province la plus cycliste du monde est largement exagérée. Il n'y a aucune comparaison avec la Flandre. Si la Bretagne est "les monts de Flandre", alors la Flandre est les Alpes. La Bretagne, folle de vélo, est une légende, tout au plus quelque chose du passé dont il ne reste plus grand-chose aujourd'hui. Si vous recherchez l'atmosphère et le charme, allez en Flandre. Ici, surtout en Flandre occidentale, la course est vraiment vivante.
En Bretagne, seules les grandes courses retiennent l'attention. Autrefois, chaque village breton avait sa propre race. Des critériums comme ceux de Callac et Châteaulin ont attiré des milliers de fans. Ces dernières années, nous nous sommes dégradés. Les légendes sont en train de mourir. Regardez le GP Plouay, où par des changements inutiles du parcours, le charme de la course a disparu. C'est triste à voir. Je croise les doigts pour une organisation comme le Tro Bro Léon. Une belle course à l'ancienne. C'est bien pour la Bretagne.
Pendant longtemps, Stéphane Heulot a semblé être un enfant du dimanche. Dans sa jeunesse, il a gagné partout où il s'est présenté et, en tant que professionnel de première année, il a immédiatement montré ses capacités avec des victoires d'étape dans Etoile de Bessèges et Paris-Nice. Le nouveau Hinault, a-t-on murmuré. Le Messie du cyclisme français! Quand Heulot a dû renoncer à son statut de prometteur pour un rôle de domestique à la Banesto de Miguel Indurain, il a choisi pour sa carrière et un rôle libre à Gan. Nous sommes en 1996 et Heulot est au départ de son premier Tour de France: "J'étais dans la meilleure forme de ma vie. Quatrième du Dauphiné Libéré et champion national, une semaine avant le départ du Tour. Avec de grands coureurs comme Chris Boardman, Cédric Vasseur, Didier Rous, Eddy Seigneur et Frédéric Moncassin, je ne pouvais pas prétendre au leadership de Gan. Mais les circonstances étaient bonnes. J'ai fait un bon prologue et j'étais dans une échappée lors de la 4ème étape (étape gagnée par Cyril Saugrain), ce qui m'a donné un avantage de 4 minutes sur les favoris. Je me voyais dans le top 5. Le monde était à mes pieds. J'avais le maillot jaune en tant que Français et la perspective d'un bon classement final. Mais cette nuit-là, j'étais malheureux."
Heulot poursuit: "Le début du Tour 1996 avait été impitoyable. La pluie et le vent se sont abattus sur le peloton comme un plaie égyptien. Les abandons sont tombés en masse. Le soir de mon maillot jaune, j'ai senti que mon genou n'allait pas bien. Le temps n'était pas propice, mais aussi la disposition de nos nouveaux vélos - une tradition à chaque départ de Tour - était tout sauf optimale. J'ai réalisé que je ne pouvais pas continuer à rouler comme ça, mais j'ai quand même espéré un miracle. La direction de l'équipe voulait à tout prix que je sois sur le vélo avec le maillot jaune. La seule chose que je pouvais faire était de sauver les apparences et de rester silencieux. Le silence contre la presse. Le silence contre mes coéquipiers. Une lourde croix à porter. Mon tendon rotulien était enflammé mais je ne voulais rien savoir d'une injection de cortisone. Le troisième jour en jaune, lors de la première étape de montagne, j'ai connu ma chute. J'ai dû laisser partir les favoris rapidement. En vue du sommet du Cormet de Roselend, je me suis arrêté pour la première fois. Le chef d'équipe Roger Legeay m'a encouragé à continuer. En vain. Quelques tours plus tard, j'ai dû descendre du vélo à nouveau, cette fois définitivement. C'était terminé. Le Cormet de Roselend était noyé dans le brouillard, il y avait beaucoup de monde autour de moi, et je me sentais seul. Mais derrière mes larmes se cachait en même temps un sentiment de rédemption. Je pouvais enfin dire ce qui se passait. Enfin, je n'avais plus besoin de me taire."
"Le Tour 1996 a été un coup dur pour le mental. J'avais raté ma chance d'obtenir une place de choix dans la plus grande course du monde. Pour gagner? Non, c'était impossible. Contre le Bjarne Riis de 1996, il n'y avait rien à faire." (rires) Cependant, son abandon n'avait pourtant pas fait de mal à Heulot. Les équipes faisaient la queue pour signer le talent naissant. Il a mis sa signature sur un morceau de papier de la Française des Jeux. "Le pire choix de ma carrière", a déclaré Heulot. "Je n'aurais jamais dû partir avec Marc Madiot. Je ne pouvais absolument pas approuver sa façon de travailler. Et la façon dont il se présente encore aujourd'hui comme un ange blanc et un 'monsieur propre', ça pique beaucoup. J'ai perdu des années avec cet homme. Et pourtant, je ne pense pas avoir échoué. Vous devez vérifier les résultats du Tour. J'ai terminé 20e en 97, 13e en 98 et 14e en 99. Si vous voyez qui a terminé devant moi, alors je suis assez content de ces résultats." Le Tour 1999, d'ailleurs, est une autre histoire. Heulot a dormi dans la même chambre qu'un certain Christophe Bassons, tristement célèbre pour être l'un des ennemis jurés de Lance Armstrong, parce qu'il avait - nota bene pendant le Tour de '99 - pris une position ouvertement anti-dopage. Heulot à propos de Bassons: "Je ne pouvais guère comprendre l'homme. Ce qu'il pensait, ce qu'il faisait, ce qu'il ressentait, je ne pouvais pas le deviner. Finalement, il a abandonné pendant le Tour. Comme un voleur dans la nuit, il a disparu. Une collision avec Armstrong, il s'est avéré. Je n'en sais pas plus. Un ange blanc? Eh bien, j'oserais dire: il est plus blanc que Madiot."
Heulot a arrêté le cyclisme à l'âge de 31 ans. L'âge auquel la plupart des coureurs atteignent leur plus grand succès. Il n'est pas difficile de trouver une explication: " En 2002, j'ai roulé pour Big Mat. Pendant le Tour d'Espagne, j'ai vu des choses que je ne pouvais plus accepter. Rester dans la course aurait signifié fermer les yeux sur les pratiques. J'ai abandonné et j'ai pris le temps de réfléchir. Sur la course, sur mon avenir. J'ai rompu mon contrat et arrêté de courir. Je voulais garder l'honneur pour moi. En France, on dit: les plus gênés s'en vont. S'arrêter était la seule option. Cela peut paraître étrange, mais le Festina Tour de 1998 a été pour moi un soulagement. Tabula rasa. Le Tour 99 devait être la résurrection d'un nouveau sport pur. Enfin, c'est ce que je pensais. Il n'a pas fallu longtemps avant que je réalise que rien n'avait changé. J'ai revu tous les abus d'avant 1998, souvent même pires."
En fait, Stéphane Heulot ne veut pas trop regarder en arrière. Il est sorti sain et sauf de sa période d'athlèthe professionel. Littéralement même. Heulot n'est jamais tombé lourdement, n'a jamais rien cassé. Un bon ange gardien? "Peut-être, oui. Pas du tout le pouvoir de la superstition. Je ne suis pas attaché aux porte-bonheur. Pas de grigri's pour moi." Heulot croit en effet. En Bretagne, il existe une forte tradition catholique. Pardonner ne lui coûte aucun effort: "Je ne blâme pas beaucoup de tricheurs de ma période. Quelqu'un comme Lance Armstrong a été suffisamment puni. Qui suis-je pour l'accuser ? Pour d'autres, il est apparemment toujours commode qu'Armstrong soit considéré comme le grand coupable. Ce sont eux qui parlent le plus fort dans le peloton ces jours-ci, mais ils n'ont pas la conscience tranquille. Des soi-disant anges blancs qui en réalité ont juste fait ce qu'Armstrong a fait. Ceux que je ne peux pas pardonner."
Malgré tout, Heulot n'a jamais perdu son amour du cyclisme. Pendant des années, il a entraîné l'équipe U23 Sojasun Espoir et a été le fondateur du Centre Formation de Cyclisme Sojasun Espoir-AC Noyal-Châtillon. Quelque chose qu'il a fait avec le cœur et l'âme. Heulot voulait former les jeunes non seulement à être de bons cavaliers mais surtout à être de bonnes personnes. Avec succès (sportif), car de son écurie sortent, entre autres, Pierre Rolland, Alexis Vuillermoz et Julien Simon. Sur le plan professionnel, Heulot se porte bien. En tant que coach d'entreprise, il transmet son expérience (de vie) depuis 2014. "Un burn-out en 2012 m'a fait réaliser que la vie est plus qu'un travail. Avec ce que j'avais vécu en tant que coureur et directeur d'équipe, je pouvais me mettre au service des autres. Il m'arrive d'emmener les chefs d'entreprise et leur personnel faire une balade à vélo dans un quartier pavé. On y apprend qu'il faut travailler en groupe, et que ce n'est pas forcément le patron qui est le plus fort." Le sang est plus épais que l'eau...
Cet article a été publié précédemment dans Etappe #05 (2016).
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